L’Agence Nationale de la Conservation Foncière du Cadastre et de la Cartographie « ANCFCC », est l’organisme auquel incombe la gestion du cadastre marocain ; elle a été créée en vertu de la loi N° 58-00 du 13 Juin 2002 pour assurer trois missions principales, à savoir :
1. L’Immatriculation Foncière (IF), dont l’objectif principal est de garantir le droit de propriété par l’inscription des mentions sur les livres fonciers retraçant ainsi l’historique de la propriété foncière (Cadastre juridique).
2. Le Cadastre pour délimiter la propriété foncière en termes de superficie, coordonnées, situation géographique, etc. (Cadastre national).
3. La Cartographie qui poursuit et améliore la couverture cartographique du pays et la définition du référentiel géodésique.
En outre, le cadastre marocain est marqué par une situation assez particulière de par la coexistence de plusieurs types de cadastre portant sur des fonctions perspectives divergentes. Il s’agit du cadastre juridique, du cadastre national et de l’Agence Nationale Foncière.
1. Le cadastre juridique:
Au Maroc, il existe une dualité de régime foncier, à savoir :
1- Le régime des immeubles non immatriculés, ceux-ci sont régies par les dispositions du code des droits réels (loi 39-08 du 22 novembre 2011), et
2- Le régime des immeubles immatriculés, qui a été institué par le Dahir de 1913 puis complété et modifié par la loi 14-07 du 22 novembre 2011.
Le cadastre juridique au Maroc ne concerne que le régime des immeubles immatriculés. A titre indicatif, en 2010, l’ANCFCC avait annoncé que 95% des terrains en milieu urbain étaient immatriculés contre 10% en milieu rural. Soit en gros, 75% du territoire reste à immatriculer (quoique ce chiffre reste contesté en l’absence d’un vrai cadastre général qui couvre la totalité du territoire national).
Par ailleurs, la principale source du cadastre juridique marocain est l’Act Torrens ou plus précisément le « Real Property Act ». Comme expliqué ci-dessus, cette théorie porte sur le principe de la purge préalable à l’établissement du titre de la propriété, qui fixe son nouveau point de départ et la débarrasse de tout droit réel ou charges foncières antérieures à l’immatriculation foncière.
A l’issu de l’immatriculation foncière, le titre foncier acquiert une force probante absolue et l’immatriculation dans celui-ci rend inattaquable le droit du propriétaire inscrit.
Le cadastre juridique marocain se compose à la fois du service du cadastre qui assure le côté technique de l’immatriculation foncière « établissement du levé, bornage, calcul de contenance, etc. » et le service de la conservation foncière qui assume la partie juridique notamment le maintien du registre foncier (à travers l’immatriculation, les opérations sur les titres fonciers, l’inscription des droits réels et des transactions immobilières).
2. Le cadastre national:
Le cadastre national a été créé au Maroc en vertu du Dahir de 4 juin 1973, et ce dans l’optique d’accompagner le vaste programme hydro-agricole lancé par le Ministère de l’Agriculture vers la fin des années 60. Ce programme exigeait l’établissement d’un inventaire foncier général aussi complet que possible. Selon les dispositions de l’article 2 du dahir de 1973 instituant le cadastre national, celui-ci, couvre tous les immeubles quels que soient leurs statuts juridiques, et porte sur les indications suivantes :
o Pour tous les immeubles : consistance matérielle, nature du sol et types des spéculations agricoles qui y sont pratiquées.
o Pour les immeubles non immatriculés ou n’ayant pas fait l’objet d’une délimitation administrative homologuée : limites, superficies, propriétaires apparents et titulaires apparents de droits réels.
Le cadastre national a vu le jour étant donné que les informations fournies par le cadastre juridique ne pouvaient guère renseigner les départements de l’agriculture sur les structures des zones à équiper (car l’immatriculation est sporadique) et sur la consistance des propriétés (car la mise à jour est facultative).
Ainsi l’instauration de ce type de cadastre au Maroc constituait une avancée vers l’avant pour une collecte à grande échelle d’informations spatiales, et ce en vue de:
o Déterminer, par commune rurale entière, les structures foncières pour les besoins du pays en matière de l’agriculture et de l’aménagement territorial ;
o Servir de support favorisant l’immatriculation groupée dans les zones cadastrées ; et
o Servir, le cas échéant, de base à la détermination de l’impôt foncier.
Néanmoins, ce cadastre, tel qu’il a été institué, reste un cadastre purement économique et fiscal sans force probante. En effet, Il n’assure que l’identification du propriétaire apparent du moment, auquel est remis un « titre » possessoire qui est sans valeur juridique.
3. L’Agence Nationale Foncière « AFN »
L’AFN a été créée en vertu du circulaire du Premier Ministre N° 338/C du 26 Août 1982. Cette entité qui est rattachée à l’ANCFCC assure deux missions perspectives, à savoir :
1. Etablir les Plans de Zoning des municipalités, des centres autonomes, des centres délimités et de leurs zones périphériques.
2. Collecter, conserver et diffuser les informations (forme, situation, consistance etc.), relatives aux terrains non bâtis appartenant à l’Etat (domaine public et privé), aux Habous publics, aux Guich et aux collectivités ethniques et locales, situés à l’intérieur des périmètres urbains des municipalités, des centres autonomes, des centres délimités ainsi qu’à l’intérieur de leur zone périphérique.
4. Le cadastre général:
Dans une optique de répondre aux besoins grandissants actuels des utilisateurs, le Maroc a besoin d’une vision stratégique pour réformer le système de cadastre, et ce notamment à travers l’intégration dans un cadre unique, cadastre général ou polyvalent, les informations foncières, géographiques, économiques, agricoles, urbaines, etc. Cela dit, plusieurs questions se posent quant à la faisabilité de ce projet, notamment :
1. Est-ce techniquement faisable ?
2. Intégrerait-t-il d’autres données géographiques notamment celles relatives à l’Aménagement du Territoire, l’agriculture, la fiscalité et bien d’autres ?
3. Qu’en est-il du coût pour l’instauration de ce cadastre ?
4. Comment y procéder ?
Cadastre marocain Vs Cadastre 2014 de la FIG
La commission 7 de la FIG, a entrepris en 1994 une étude portant sur les réformes que les systèmes, cadastraux à l’échelle internationale devraient subir en vue d’être en mesure d’accompagner les importants progrès qui se sont opérés durant les dernières décennies que ce soit sur le plan technologique, sociologique ou en relation avec la globalisation et l’interconnexion croissante des relations d’affaires. Ainsi, le résultat de cette étude s’est illustré en des recommandations conceptualisées sous forme d’un cadastre appelé par cette commission« Cadastre 2014 », qui se veut un cadastre complet devant servir d’exemple ou d’objectif à atteindre par les différents systèmes de cadastre à travers le monde, et ce afin de leur permettre d’opérer un développement substantiel à la fois de leurs visions stratégiques respectives et de leurs structures de fonctionnement.
Le « Cadastre 2014 » porte sur 6 déclarations essentielles qui seront développées, ci-dessous, et les innovations apportées feront l’objet d’une analyse comparative avec le cadastre marocain.
a) Déclaration 1 du Cadastre 2014 :
« Le cadastre 2014 indiquera la situation légale complète du territoire, y compris les droits et les restrictions de droit public ! »
La terre et son utilisation sont soumises à des lois se rapportant à la fois au :
1- Droit privé : Les constitutions de la plupart des pays définissent les droits de citoyens, l’un d’eux étant la garantie de posséder une propriété. Les codes civils ont renforcé cette garantie et ont défini des procédures claires et des institutions visant à protéger les droits des citoyens contre l’aliénation. Une de ces procédures est l’enregistrement des droits fonciers, et son institution est le registre foncier. Pour l’enregistrement foncier, quatre principes ont été appliqués plus ou moins généralement, à savoir: 1- le principe de l’inscription, 2- le principe du consentement, 3- le principe de la publicité et 4- le principe de la spécialité [Henssen, 1995].
2- Droit public : La planification de l’utilisation des terres, la protection environnementale, les lois de construction, la protection contre les dangers causés par les phénomènes naturels, etc. sont réglementés par le droit public. D’une manière générale, les lois traitant des points, ci-mentionnés, définissent les zones où certaines choses sont permises ou interdites. Les limites de ces zones sont en principe indépendantes des limites des propriétés privées, mais elles ont un impact sur l’utilisation possible du territoire.
Partant d’un constat global, y inclut le cas du Maroc, il s’avère que les systèmes et procédures existants en matière de droit privé ont quelques fois été perfectionnés à tel point que leur niveau de sécurité légale semble être supérieur à 100%. Cela-dit, en matière de droit public, il n’y a pas de vérification de limite, pas de vérification de titre de propriété et pas d’enregistrement dans un registre légal officiel. Les principes d’inscription, de spécialité et de publicité sont par conséquent violés (certes, ce point reste discutable).Ainsi, les citoyens et les organisations intéressés peuvent trouver des informations concernant un terrain dans le registre foncier. Mais ils doivent faire des efforts supplémentaires pour obtenir des informations relatives à d’autres droits et restrictions qui ont un effet sur la situation légale de leur terrain, en faisant une enquête auprès de diverses organisations gouvernementales. Ceci est à l’instar de la note de renseignement au Maroc, qui est sollicitée auprès des Agences Urbaines pour se renseigner sur les affectations urbanistiques réservées à un terrain donné.
Le Cadastre marocain doit ainsi corriger cette situation, qui devient de plus en plus précaire, et ce en concertation avec l’ensemble des intervenants dans le domaine du foncier et de l’immobilier. Il doit documenter, d’une manière sûre, tous les aspects légaux du territoire.
b) Déclaration 2 du Cadastre 2014 : « La séparation entre les cartes et les registres sera abolie ! »
Dans la plupart des pays du monde, et notamment au Maroc, les systèmes d’enregistrement foncier comprennent une composante « mensuration cadastrale » et « enregistrement foncier » ; La première est traitée par les géomètres la deuxième par des juristes. Ainsi, il y a lieu de deux entités séparées traitant du même objet. Cette situation était justifiable dans le passé au vu des moyens technologiques très limités de l’époque. Néanmoins, avec les moyens offerts actuellement, il y a possibilité de remédier à cette dualité en vue d’achever une optimisation au niveau de l’enregistrement foncier.
Ce système, qui est adopté par l’ANCFCC, présente beaucoup d’inconvénients :
1. Le système est lourd. Les acteurs du marché immobilier doivent s’adresser à deux entités différentes pour la même opération.
2. L’information est redondante.
3. Problème de contradiction/mise à jour.
4. Chaque unité organisationnelle a ses honoraires.
c) Déclaration 3 du Cadastre 2014 : « La cartographie cadastrale passera de vie à trépas ! vive le modelage ! »
Les plans ne serviront plus à stocker l’information, mais à représenter l’information stockée dans les bases de données. En d’autres termes, le dessin direct des objets sur une carte/plan sera remplacé par la création d’objets dans un système informatique, qui pourront par la suite (objets) être exploités en vue de produire de différents produits à différentes échelles. En effet, actuellement, la technologie informatique a simplifié les procédés de levé des objets et leur représentation sur des plans/cartes, alors que dans le passé ceci nécessitait des aptitudes spéciales.
Au Maroc, le domaine de la cartographie a connu une grande évolution, où L’ANCFCC a procédé à une automatisation complète du processus de saisie, de traitement, d’extraction et de représentation de l’information géographique afin de disposer de données numériques qui permettent de générer de nouveaux produits cartographiques tout en réalisant des économies de temps et de coût. Néanmoins, beaucoup d’efforts doivent être consentis pour adresser les nombreuses lacunes notamment celles touchant aux modèles de données.
d) Déclaration 4 du Cadastre 2014 : « Le cadastre « papier et crayon » aura disparu ! »
Les procédures d’enregistrement foncier traditionnelles sont faciles à informatiser. Néanmoins, le traitement d’objet à référence spatiale nécessite des solutions plus sophistiquées en terme de logiciels et aussi en terme de développement de modèles orientés objet.
Le cadastre marocain a franchi un pas vers l’avant dans l’éradication du papier et du crayon notamment grâce à l’adoption de solutions informatiques moderne à l’instar du « CadGis ». Ceci dit, le modèle de données développé par ce dernier reste à améliorer. Aussi, malgré l’implémentation de ce système et d’autres, l’utilisation du papier au sein du cadastre et de la conservation foncière reste une chose
commune. A titre d’exemple, les dossiers techniques des affaires cadastrales et foncières sont toujours traités en format papier.
e) Déclaration 5 du Cadastre 2014 : « Le cadastre 2014 sera fortement privatisé ! Le secteur public et le secteur privé travailleront en collaboration étroite »
Au Maroc, comme par ailleurs dans le monde, le secteur public est entrain de transférer son travail opérationnel au secteur privé et n’assume guère que des missions de supervision et de contrôle. Ceci est également valable en matière de cadastre, où l’Ingénieur Géomètre Topographe assume plusieurs tâches qui étaient jusque-là entreprises par l’ANCFCC (à l’instar du bornage, l’immatriculation d’ensemble, les
opérations subséquentes, la cartographie, la photogrammétrie, etc.). Les raisons pour cela sont multiples, à savoir:
1. Les systèmes publics tendent à être moins souples et moins axés sur la clientèle que ceux appartenant à des organisations privées.
2. Les économies libres exigent plus de souplesse dans les marchés fonciers, dans la planification foncière et dans l’utilisation du foncier. La souplesse peut être mieux fournie par des institutions privées.
3. Le secteur privé est un véritable levier pour la création d’emploi, et constitue une locomotive en termes d’efficacité, d’investissement, d’introduction de nouvelles technologies, etc.
Toutefois, la relation de l’ANCFCC et le secteur privé reste tendue voire conflictuelle dans certains cas notamment avec l’Ordre National des Ingénieurs Géomètres Topographes « ONIGT », où il existe une certaine absence de communication et d’unification de visions stratégiques malgré que dans les faits l’un ne peut exister sans l’autre.
f) Déclaration 6 du Cadastre 2014 : « Le cadastre 2014 procèdera au recouvrement des coûts »
Les systèmes cadastraux exigent des investissements considérables en termes d’actualisation constante des bases de données foncières, la couverture du territoire par un réseau géodésique fiable et précis, etc. En parallèle, le coût de ces investissements et de fonctionnement doit être remboursé par ceux qui tirent profit du système.
Ce paradigme est d’application au Maroc où les clients de l’ANCFCC leur sont imposés des frais dits frais de la conservation foncière (ils sont en fonction de l’opération à effectuer: morcellement, bornage, inscription d’hypothèque, etc.). Néanmoins, une grande partie de ces revenus est destinée à remplir les caisses de l’Etat au lieu d’être réinvesti dans les structures de l’ANCFCC pour la modernisation et la mise à jour de sa base de données géographiques.
Ceci résulte en une situation grandement inquiétante, illustrée par des anomalies aberrantes dont on cite à titre d’exemple : mappes cadastrales datées, dossiers cadastraux égarés, cartes topographiques datées des années 40, réseau géodésique obsolète, etc.
En plus, il faut souligner l’importance des recettes indirectes qui seront générées par ce futur système (Ex : la maîtrise de la collecte de la Taxe sur les Terrains non Bâtis « TNB », la gestion des occupations illégales des domaines publics, l’instauration de la justice fiscale, l’élargissement de la base soumise à la fiscalité selon ses différents aspects, la mise en place de la carte vénale, et la lutte contre la sous
déclaration, etc.)